Le phénomène John Achkar enflamme Montréal lors de son stand-up comedy « Chou zakeh » en tournée mondiale
Gisèle Kayata Eid
La salle est chauffée à blanc avant même qu’il n’apparaisse. Le Club Soda est plein à craquer, une demie heure avant le début du spectacle. Ils l’attendent tous impatiemment. Les quatre séances prévues dans la métropole canadienne avaient affiché complet aussitôt qu’annoncées. Et pourtant il était à Montréal encore l’année passée, à la même période. Faut croire que son air volontairement dégingandé qui vous raconte ses déboires a quelque chose de magique qui attire les Libanais. Ils lui ont fait un triomphe partout où son avion a atterri dans les 52 villes et pays où sa tournée mondiale de 2024 l’a porté, en l’espace d’un an.
Un succès foudroyant que même un humoriste du Québec, et pas des moindres, en a profité pour faire l’ouverture du spectacle « Chou Zakeh » du grand favori des Libanais. Rachid Badouri, Marocain d’origine qui joue en streaming sur Netflix, a fait patienter un public enthousiaste qui a réservé une ovation chaleureuse à celui qu’ils sont venus applaudir et voir live.
C’est que John Achkar a fait sa réputation acquise à Beyrouth (où il anime un show télé), mais qu’il a aussi été très présent et partagé sur les réseaux sociaux avant de se reproduire à guichets fermés à Riyad, Jiddah, Nicosie, Istanbul, Berlin, Luxembourg, Paris, Madrid, Barcelone, Bucarest, Montpellier, Marseille, Milan, Abou Dhabi, Bruxelles, Lausanne, Genève, Athènes, Copenhague, Panama, Dubaï, Londres, Sydney, Melbourne, pour ne citer, dans la foulée, que quelques destinations, avant que l’Amérique du Nord ne le récupère cet automne.
Orchestrée et menée vaillamment par Ghada Khalife Hobeika, l’équipe d’Innovent, la société évènementielle que la jeune femme a créée, a bourlingué en Amérique du Nord, avec l’imperturbable humoriste, pendant un mois, à Atlanta, Washington, New York, San Diego, Los Angeles, Boston, Detroit, Cleveland, Miami, Toronto, Halifax, Montréal pour terminer à Vancouver pour un total de 22 séances jouées à guichets fermés. Un record.
Une variété de publics mais un même engouement envers celui qui a su trouver la bonne vibration pour séduire. Avec un thème récurrent, celui du monde corporatiste qu’il oppose à son statut de comédien plutôt modeste, il table sur l’autodérision pour montrer, à travers ses incompatibilités notamment avec sa compagne de religion différente qui travaille dans le monde de la finance (et qui communique avec lui par Excel Sheet !), la dérive de notre quotidien obnubilé par de grandes théories censées résoudre les problèmes. Une approche très fine qu’il meuble de trouvailles comiques (sa belle-mère qui confond le Black Friday avec le Vendredi saint), de réminiscences d’un passé de brave garçon (élève des Pères Jésuites aux prises avec les Tupperware odorants que sa mère lui préparait avant d’aller travailler), les exagérations de thérapeutes qui enseignent avec des tutos tout bêtement comment respirer, des coachs de vie qui régulent votre journée avec des thèmes que son épouse (toujours elle, pour ne blesser personne) veut appliquer manu militari.
Pince sans-rire, John Achkar, met bien sûr le Libanais (et son passeport devenu quasiment inopérant) au cœur de ses boutades qui attirent un public résolument composé d’expatriés, mais c’est probablement aussi la versatilité de sa prestation qui séduit les foules. Conscient du lieu où il se reproduit, il abonde de comparaisons avec les us du pays qui l’accueille. Il relèvera à Québec la prudence des propos dans les réactions, à Londres les églises payantes et les musées gratuits, pour noter au passage que si « nos » curés le savaient, ils auraient habillé la vierge avec des tenues d’Elie Saab, etc. Des railleries amusantes rapportées sur un ton et un air bon enfant qui charment ses compatriotes rôdés aux anecdotes montées de toutes pièces.
En bref, un spectacle qui coche toutes les cases de l’humoriste qui aime rire et sait faire rire, enthousiaste, créatif et dont les interactions avec le public sont autant d’occasions utilisées judicieusement pour rebondir sur ses plaisanteries. Une heure intense de spectacle que John Achkar a rempli par sa présence charismatique, ses blagues subtiles, son sens de l’observation et son amour du public qui s’est précipité pour prendre une photo avec lui avant de quitter la salle, allégé d’avoir oublié l’espace d’une soirée les informations funestes du Liban.