Macron en première ligne dans la crise ukrainienne
Le président français Emmanuel Macron, prompt aux coups diplomatiques, monte en première ligne dans la crise ukrainienne, non sans risques face à l’intransigeance du maître du Kremlin. Après une série d’échanges téléphoniques avec ses homologues russe Vladimir Poutine et ukrainien Volodymyr Zelensky, le chef de l’État se rend lundi à Moscou et mardi à Kiev. Il se retrouve ainsi au cœur de la crise, tout comme en 2017 sur la Libye, en 2019 sur le nucléaire iranien ou en 2020 sur le Liban, trois séquences dans lesquelles il s’était fortement impliqué, en vain. « C’est quelqu’un qui aime beaucoup prendre des risques sans s’entourer toujours des préoccupations indispensables », estime Michel Duclos, ancien ambassadeur et conseiller spécial à l’Institut Montaigne.
Dans la crise ukrainienne toutefois, Emmanuel Macron avance prudemment en prenant soin de consulter à chaque étape ses alliés, de l’Américain Joe Biden au Polonais Andrzej Duda. Face au chancelier allemand Olaf Scholz qui fait ses premiers pas à l’international, le président français, dont le pays assume la présidence tournante de l’UE, se pose aussi en leader européen. « La Russie ne souhaite pas parler à l’UE. En Allemagne, la nouvelle coalition n’a pas encore bien pris ses marques. Donc Macron est la voix de l’Europe dans le dialogue avec Poutine », résume Tatiana Kastouéva-Jean, de l’Institut français de relations internationales (IFRI).
Les Européens ont certes très peu voix au chapitre sur le volet principal de la crise, déclenchée par l’accumulation de troupes russes à la frontière avec l’Ukraine. Vladimir Poutine, fort de cette menace militaire, exige avant tout une négociation « d’égal à égal » avec Joe Biden sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe.
Porte de sortie
Le conflit déclenché par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 13 000 morts depuis 2014, n’en reste pas moins un énorme abcès de fixation. « Macron a trouvé la seule voie possible pour participer à la négociation, c’est la réactivation du format Normandie », considère Jean de Gliniasty, expert à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et ex-ambassadeur de France à Moscou. Ce format associe la France, l’Allemagne – toutes deux médiatrices– la Russie et l’Ukraine, et est censé mettre en œuvre les accords de paix de Minsk dans les enclaves séparatistes du Donbass. « Le seul problème, c’est que ce format est paralysé depuis huit ans parce que les Ukrainiens n’en veulent pas », jugeant les accords de Minsk à leur désavantage, ajoute-t-il.
Les Russes, qui reprochent à la France et l’Allemagne de prendre fait et cause pour l’Ukraine, ont aussi largement boudé ce format, avant de le réactiver le 26 janvier à Paris. « Le format Normandie, c’est très clairement une porte de sortie », assure Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou. Dans ce contexte, pour Poutine, « la France est une carte parmi d’autres, secondaire mais pas forcément inintéressante ».
Les deux pistes de Poutine
À moins de se lancer dans une guerre contre l’Ukraine, Poutine dispose de deux pistes : trouver un compromis avec les Américains sur le contrôle des armements en Europe et des avancées sur le Donbass. Dans ce jeu complexe, Emmanuel Macron – tout comme Olaf Scholz – sert d’intermédiaire quand Vladimir Poutine et Volodymyr Zelenski ne se parlent pas directement. « Là, il a une certaine pratique (…). Il a pu acquérir aussi une certaine stature en quatre ans » aux yeux du maître du Kremlin, fait observer Michel Duclos. Les relations demeurent néanmoins complexes entre les dirigeants. La volonté de dialogue affichée en 2019 par Emmanuel Macron n’a mené nulle part, et Moscou s’offre même le luxe de contester l’influence de la France dans son pré carré africain. « Trop d’effusions lyriques, ce n’est pas le genre d’un type du KGB », relève Michel Duclos.
« Il y a probablement une déception réciproque », renchérit Jean de Gliniasty. Vladimir Poutine se montre en outre pour l’heure inflexible sur le fond. Emmanuel Macron court ainsi le risque que tout cela ne se résume à de la « gesticulation », avance l’expert de l’IRIS. Mais « l’intérêt de Poutine, ce peut être aussi de créer de la concurrence avec les États-Unis, un petit tison », voire de « consolider Scholz » attendu le 15 février à Moscou, relève Jean de Gliniasty. Paris devra ainsi se coordonner avec Berlin. « On ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de tenter des médiations. Ce qu’on peut lui reprocher parfois, c’est de le faire quelque temps en solitaire », note Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).