« Je n’ai jamais pensé que j’étais un super chopiniste »
Le Montréalais Bruce Xiaoyu Liu a remporté la semaine dernière le Premier Prix du concours Chopin
« La seule chose que je n’ai pas faite dernièrement, c’est de manger et dormir. » Le pianiste montréalais Bruce Xiaoyu Liu, grand gagnant du concours Chopin de Varsovie, que nous avons joint dimanche en Pologne, vit un véritable tourbillon depuis sa victoire, mercredi dernier.
« J’ai rejoué le Concerto en mi mineur [de Chopin] quatre jours de suite après la finale. Et il y a une autre vingtaine de fois qui s’en viennent… Demain [ce lundi], je pars déjà pour une autre ville de Pologne. C’est assez fou », raconte l’artiste de 24 ans.
Fondé en 1927, le concours, qui a lieu tous les cinq ans, est, avec ses cinq épreuves, l’un des plus prestigieux de la planète. La 18e édition devait au départ se tenir en 2020, mais a été reportée en raison de la COVID-19.
« Après que j’ai su que j’avais le Premier Prix, ils m’ont tout de suite donné un horaire pour le reste. Je voudrais vraiment retourner à la maison après tout ça. Trois semaines de concours vraiment intense, c’est extrêmement épuisant. Je voulais vraiment retourner à Montréal pour chiller et faire un peu le party, mais il faut attendre encore un peu quelques mois », confie le pianiste qui, dans les prochaines semaines, rejouera son répertoire de concours en Pologne, mais aussi au Japon, en Corée du Sud et en Israël.
N’y a-t-il pas un risque réel d’une surdose de mazurkas et de polonaises ? « C’est sûr qu’il va être étiqueté Chopin, peut-être toute sa vie », analyse Richard Raymond, son ancien maître au Conservatoire de Montréal. « Quand le jury, formé d’éminents interprètes, décide d’octroyer un prix à quelqu’un, les juges sont vraiment convaincus que cette personne-là pourra faire fructifier la marque de commerce Chopin dans les années à venir, si je peux m’exprimer ainsi. »
« Je n’ai jamais pensé que j’étais un super chopiniste, parce que j’ai appris toutes sortes de répertoires tout au long de mon éducation musicale », convient pourtant lui-même l’heureux lauréat.
« Xiaoyu est quelqu’un qui peut être fort dans plusieurs styles également. Il n’est pas uniquement concentré sur Chopin, et c’est tant mieux pour lui. Il a plusieurs cordes à son arc. Il peut être très convaincant dans la musique contemporaine. Il est excellent aussi dans Beethoven, dans Liszt, etc. », poursuit le pédagogue, avec qui M. Liu a travaillé pendant huit ans, du cégep à la maîtrise.
Richard Raymond n’a que des éloges pour le jeune musicien chez qui il a senti un « potentiel international » dès son audition au Conservatoire, il y a une dizaine d’années. « C’est quelqu’un d’extrêmement rigoureux, et je suis convaincu que sa préparation pour le concours était hors norme. D’ailleurs, comme on avait vu toutes les œuvres ensemble, cela a eu le temps de mûrir. On ne va pas dans un concours comme ça avec un répertoire frais. Il était préparé à l’os ! »
Fini les concours
Dans l’immédiat, outre sa série de concerts à travers la planète, Bruce Liu aura à se dénicher un agent. « Tout ça est arrivé quand même très vite. Il me faut du temps pour organiser mon futur proche », confesse le pianiste.
Ce futur verra en outre apparaître quelques disques chez Deutsche Grammophon, partenaire du concours. « Mon premier album va sortir dans deux semaines, je crois. Il sera composé d’extraits enregistrés live durant le Concours », nous annonce-t-il.
Remporter un des plus grands concours musicaux de la planète lui permettra également d’entrer dans la carrière par la grande porte. Et de ne plus être obligé d’essayer de se faire connaître.
« La meilleure chose, c’est que je n’ai plus besoin de participer à des concours, indique le pianiste. Donc, je pourrai vraiment jouer les pièces qui me tentent vraiment, ce qui n’est pas le cas lors des concours », où la plupart des pièces sont habituellement imposées.
Le musicien aura également le temps de se replonger dans l’écoute d’enregistrements, un de ses loisirs de prédilection. « Ces temps-ci, j’apprécie beaucoup le jeu de Michelangeli, un pianiste vraiment polyvalent. Il est bien dans vraiment tout, pas juste Chopin. Et aussi — un petit fun fact —, on partage un autre hobby : lui aussi était amateur de racing, de go-kart ! », nous apprend le jeune homme.
« Les vieux maîtres, leur manière de phraser, leur sonorité, on ne retrouve plus ça chez les pianistes de nos jours. Ça me rend nostalgique quand je pense à Samson François, Alfred Cortot et tous ces gens-là », ajoute-t-il. Un héritage que Bruce Liu, successeur de géants comme Maurizio Pollini, Martha Argerich et Krystian Zimerman sur le podium varsovien, pourra sans aucun doute faire fructifier de la plus belle des manières.