L’Ukraine à l’Eurovision au gré des crises
Créé pour réunir les peuples en 1956, dans la foulée de la CEE (Communauté économique européenne), le Concours Eurovision de la chanson a traversé les crises et les guerres en devenant malgré lui un concours teinté de géopolitique.
En moyenne, 280 millions de téléspectateurs se réunissent devant le petit écran pour l’occasion. Une compétition qui n’a rien à envier aux événements sportifs mondiaux, même si l’engouement est plus ou moins grand en fonction des pays.
Cette année, le grand gagnant est l’Ukraine, un pays dévasté, en proie à l’invasion russe. En remportant le concours en 2004, en 2016 et cette année aussi, le grand pays d’Europe de l’Est qui lutte pour son indépendance a réussi à séduire le jury professionnel ainsi que les téléspectateurs. Si la performance de cette année était objectivement inférieure aux autres prestations du trio de tête, le vote d’adhésion semble avoir fait pencher la balance en faveur du vainqueur. En remportant un score record de plus de 400 points du public, l’Ukraine s’est hissée au premier rang. Le Kalush Orchestra, dont la chanson ‘Stefania’ mêle hip-hop et musique traditionnelle, a recueilli 631 points au total. “S’il vous plaît, aidez l’Ukraine et Marioupol! Aidez Azоvstal “, a appelé sur scène le chanteur du Kalush Orchestra, Oleh Psiuk, dont la prestation a été ovationnée.
Selon l’Otan, la victoire de l’Ukraine montre “l’immense soutien public ” au pays. Cette affirmation se confirme dans les faits puisque les trois victoires ukrainiennes des vingt dernières sont arrivées à chaqun des moments difficiles traversés par le pays. En 2004, l’Ukraine remporte le prix alors que le pays s’émancipe de l’emprise russe, lors de la Révolution de couleur. En 2016, la chanteuse Jamala remporte le concours avec un titre chanté en tatar de Crimée, alors que la Russie persécutait cette minorité. Les Européens ont été réceptifs et empathiques face à la douleur d’un peuple opprimé. L’engouement du public pour l’Ukraine lors de cette édition 2022 était prévisible et attendu, au regard de l’acharnement militaire russe contre la population ukrainienne.
Retraits et controverses
Mise au ban des nations, la Russie a été exclue du concours suite à son invasion de l’Ukraine commencée en février de cette année. D’autres pays souffrant d’une dérive autoritaire se sont, quant à eux, retirés volontairement du concours pour des motifs politiques, comme la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ou la Hongrie de Viktor Orban.
En 2021, la chanson biélorusse a été disqualifiée, car le groupe chantait les louanges du dictateur Alexander Loukachenko. La même année, la candidate chypriote a subi les critiques de l’Eglise orthodoxe avec son titre ‘El Diablo’. En Russie, la chanteuse Manizha a déplu aux autorités en raison de ses messages féministes, engagés contre les préjudices. En 2014, la victoire du chanteur drag queen Conchita Wurst constitue un évènement et offre une grande visibilité à la communauté LGBT, tout en faisant passer un message de tolérance. Certains pays aux politiques hostiles aux LGBT se sont retirés du concours, comme la Turquie ou la Hongrie. Un lobbying existe au sein d’autres pays contrôlant plus étroitement leurs candidats, notamment lors de précédents conflits armés. Enfin, lors de l’édition 2019 qui s’est déroulée à Tel Aviv, le groupe islandais Hatari a affiché un message politique de soutien à la Palestine en déployant des drapeaux en direct, lors de l’annonce des résultats, ce qui avait suscité l’ire d’Israël.
Victoire musicale, avant la militaire ?
En donnant un coup de pouce à la communication du président ukrainien Volodymyr Zelensky, la victoire de l’Ukraine a été largement célébrée par les Ukrainiens et ses dirigeants, qui ont annoncé une première victoire avant la victoire militaire, sur le terrain des opérations. “Je souhaite que la prochaine édition de l’Eurovision soit organisée à Marioupol “, a annoncé le soir même le président ukrainien. “Notre courage impressionne le monde, notre musique conquiert l’Europe! “, a conclu Volodymyr Zelensky. En propulsant l’Ukraine à la première place, le public européen a envoyé un message d’unité face aux velléités territoriales du régime de Vladimir Poutine.