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Aïda Sabra, une icône libanaise qui prend son essor à l’international

Saluée par la critique française pour sa performance dans « Mère », la pièce de Wajdi Mouawad, la comédienne jusqu’alors populaire au Liban se fraye une voie vers une carrière internationale.

Dans la vie, Aida Sabra est une femme ancrée dans la réalité, une artiste engagée, une mère aimante et dévouée. Sur les planches du théâtre de la Colline, dans Mère, pièce autobiographique de Wajdi Mouawad, elle est Jacqueline, une femme impétueuse qui déchaîne sa colère sans arrêt sur ses enfants, Wajdi, Naji et Nayla Mouawad.

Dans la vie, Aida Sabra intègre en 1982, en pleine guerre civile (1975-1990), la faculté des arts dramatiques de l’Université libanaise, où elle rencontre son futur époux, l’intellectuel et journaliste Zaki Mahfoud. Sur les planches, c’est une femme au foyer qui vit recluse dans un appartement sordide du XVe arrondissement à Paris, loin de son mari, resté seul dans un Beyrouth à feu et à sang.

Dans la vie, Aida Sabra décrit les années 80 comme une période heureuse, où le théâtre fleurissait dans le quartier cosmopolite de Hamra. Sur scène, elle incarne une femme aigrie et angoissée, accrochée à la cuisine, ainsi qu’au poste de télévision, à l’affût d’hypothétiques nouvelles sur le pays qu’elle n’a jamais vraiment quitté.

Dans la vie, Aida Sabra émigre au début des années 90 à Montréal, au Canada, avec son mari et ses enfants, pour bénéficier des services élémentaires comme l’eau, l’électricité, les transports en commun, l’éducation, la santé, la retraite, ou l’allocation chômage, dans un État qui garantit les droits des citoyens. Sur les planches, elle interdit à ses enfants de sortir, et de s’intégrer dans une société dont elle dénigre tout, à l’exception du chanteur Pierre Bachelet.

Un long cheminement

Pourtant le nom de « mère courage », donné par la critique française pour décrire sa performance dans la pièce de Wajdi Mouawad, convient tout à fait à la femme qu’est Aida Sabra. Depuis l’automne 2021 et jusqu’à fin juin 2023, le public parisien pouvait découvrir sur les planches du théâtre de la Colline cette star montante jusqu’alors méconnue en dehors du Liban. « On peut se réinventer à tout âge, la vie est un long cheminement », lâche-t-elle lors d’un entretien avec L’Orient-Le Jour.

La comédienne libanaise avec Wajdi Mouawad sur les planches du théâtre de la Colline à Paris. DRLa comédienne libanaise avec Wajdi Mouawad sur les planches du théâtre de la Colline à Paris. DR

Il y a trois ans, un mois avant l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, elle et sa famille ont dû plier bagage une seconde fois pour Montréal. « On n’a pas eu le choix, la vie était devenue trop difficile au Liban », confie la sexagénaire alors contrainte d’enseigner le théâtre à des élèves de maternelle. Mais son destin bifurque encore une fois lorsque Wajdi Mouawad la contacte pour interpréter le rôle de Jacqueline (sa mère dans la pièce), sur les recommandations d’Odette Makhlouf (qui joue sa sœur Nayla), qu’il vient tout juste de rencontrer lors du tournage du long-métrage de Chloé Mazlo, Sous le ciel d’Alice (2020).

« Travailler avec Wajdi Mouawad et le théâtre de la Colline m’a élevée à un niveau plus professionnel », reconnaît-elle. Incarner Jacqueline, c’est revivre la guerre du Liban, les voitures piégées, les nuits blanches en dehors de la maison alors que Aida est étudiante. « Nous n’avions pas peur, nous défiions la situation. Mais quand on a des enfants, tout est différent, se souvient-elle. Je me suis mise à avoir peur pour eux. Dès que je sentais un danger, je les mettais à l’abri en les enfermant à la maison. À Montréal, j’ai côtoyé des femmes qui vivaient dans un état d’angoisse permanent. Wajdi Mouawad a voulu montrer comment la guerre écrase les gens tel un rouleau compresseur. ».

Éveiller les consciences

Née en 1962 à Beyrouth, Aida Sabra a vécu toute la guerre libanaise qui, selon elle, « n’est toujours pas finie ». S’en sont suivis le massacre de Cana en 1996, l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, la série d’assassinats politiques, la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah et, plus récemment, la crise économique qui dure depuis 2019. « Le visage socioculturel du pays est en train de changer, note-t-elle. Les libertés sont étouffées, la diversité qui a engendré tous ces mouvements et ces idées est aujourd’hui menacée. »

Artiste engagée, Aida Sabra voit dans l’art et les médias un moyen de parler pour les autres, mais aussi de les influencer. Dès sa première année d’université, elle intègre la troupe de théâtre engagé Hakawati dirigée par Roger Assaf, afin de remplacer une actrice dans la pièce Ayyâm el-Khiam (Les jours à Khiam). Elle collabore ensuite avec les metteurs en scène Yaacoub Chedraoui, Fayek Hbaysi, Boutros Rouhana, Jawad el-Assadi, Lina Abyad, Nehme Nehme, et d’autres.

De 1990 à 1995, Aida Sabra se retrouve une première fois avec sa famille au Canada. À son retour au Liban, elle commence à se frayer un chemin dans l’écriture et la mise en scène, avec des pièces comme Hammam ‘oumoume (Bain public) sur la situation au Liban, ou encore Mamnou’ el-Lams (Interdit de toucher) sur les problèmes de la femme qui évolue dans une société conservatrice. Dans Taqs Beyrouth (Le temps à Beyrouth), elle donne la parole à deux personnes démunies dans la ville qui les a menées à leur situation.

En 2016, la comédienne commence à faire des vidéos où elle reprend le personnage de Set Najah, de la série télévisée qui l’a fait connaître du grand public, écrite par Ahmad Kaabour et Fayek Hbaysi, et diffusée en 1995-1996 sur la chaîne Future TV. « Les gens ont tellement aimé ce personnage comique que j’y ai vu un moyen d’éveiller les consciences face à la nécessité de nous unir pour nos droits de citoyens. Car Set Najah a une fine compréhension de la situation politique et de la société », explique-t-elle. Dans une vidéo, cette beyrouthine emblématique est coincée dans un ascenseur, qui incarne tous les problèmes du pays. Personne n’essaie de l’en sortir, et Set Najah finit par mourir.

Pour Mère, Aida Sabra s’est inspirée de la technique du mime et du masque dont elle est une des pionnières au Liban. « Je tenais à rendre visible la façon dont un enfant perçoit les choses de manière exagérée lorsque sa mère s’énerve », abonde-t-elle. En parallèle à sa tournée en France et en Belgique avec Wajdi Mouawad, l’actrice travaille au Canada sur la pièce Cerise de Alia Khashouk autour du thème de la violence conjugale, et vient de terminer le tournage de deux courts-métrages. La lente mais sûre avancée de Aida Sabra vers une carrière internationale est ainsi lancée.

l orient le jour

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