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Une poignée de médecins américains brave les lois interdisant l’avortement

Pour la jeune femme, qui prescrit elle-même ces pilules dans le cadre d’une téléconsultation, c’est une «forme active de résistance». «Les habitants du Texas ont les mêmes droits humains et méritent le même accès aux soins que ceux du Connecticut», dit-elle à l’AFP.

Cette nouvelle voie d’accès est coordonnée par l’organisation militante Aid Access. Entre la mi-juin et la mi-juillet, elle a permis à 3500 personnes vivant dans des États où les avortements sont illégaux de recevoir des pilules abortives prescrites par sept soignants américains.

Si ces professionnels de santé ont décidé de participer, c’est parce qu’ils exercent dans l’un des cinq États américains ayant adopté des lois dites «boucliers», Massachusetts, Colorado, Vermont, New York et Washington.

Ces lois les protègent en cas de poursuites par des États où l’avortement est interdit: toute extradition ou transmission de documents sera refusée, et leur permis d’exercer ou assurance professionnelle ne peuvent être menacés.

Mais leur engagement est risqué, en dépit de ce «bouclier».

Un jour «quelqu’un demandera à la justice de se prononcer sur ces lois», explique Lauren Jacobson, qui estime qu’elle pourrait un jour être «poursuivie pour meurtre» au Texas.

Par précaution, elle ne se rend plus dans les États où le droit à l’avortement a été restreint, une quinzaine au total.

«Il y a effectivement un risque pour nous tous, nous le prenons en connaissance de cause», ajoute l’infirmière, dont la profession est autorisée à réaliser des avortements au Massachusetts.

Délais d’attente réduits

La situation est emblématique de la bataille que se livrent États progressistes et conservateurs depuis que la Cour suprême américaine a annulé le droit fédéral à l’avortement, en juin 2022.

Avec ces «lois boucliers», des États démocrates peuvent largement limiter la portée des interdictions décrétées dans les États républicains, surtout si davantage de médecins rejoignent le mouvement. La Californie pourrait aussi adopter une loi similaire à l’automne.

Avant leur mise en place, l’association Aid Access était déjà active, mais les prescriptions étaient réalisées par sa fondatrice, une médecin néerlandaise. Résultat : des délais de livraison très longs, jusqu’à plusieurs semaines, les pilules étant envoyées d’Inde.

Depuis que les soignants américains ont pris le relais mi-juin, la livraison ne prend que quelques jours, «car on peut les envoyer depuis les États-Unis», explique à l’AFP Linda Prine, médecin new-yorkaise qui s’est aussi engagée avec Aid Access. «Et plus l’avortement est réalisé tôt, plus il est sûr.»

Aucune consultation vidéo n’est requise. Les soignants passent en revue les informations médicales remplies par les patientes sur le site de l’organisation. Les pilules sont prescrites jusqu’à 13 semaines de grossesse, et prises à domicile.

Le service coûte 150 dollars, un prix ajusté en cas de difficultés financières.

Selon Linda Prine, près d’un quart des patientes ne peuvent pas payer la somme entière, «donc vous pouvez imaginer pourquoi elles ne peuvent pas voyager jusqu’à un État démocrate pour leur avortement.»

La «peur» pour «tactique»

Pour Lauren Jacobson, les messageries en ligne ne sont certes pas «idéales» pour s’occuper des patientes qu’elle aimerait pouvoir conseiller en personne. «Mais est-ce que c’est sûr? Oui, ça l’est.»

Elle raconte le cas d’une adolescente, enceinte après un viol: «Je lui demande si elle est en sécurité chez elle, je propose un appel téléphonique, mais elle n’est pas obligée d’accepter», regrette l’infirmière. «La meilleure chose que je puisse faire pour elle, c’est de m’assurer qu’elle n’ait pas à mener une grossesse en plus de ce qu’elle vit.»

Pour les femmes elles-mêmes, les risques juridiques liés à la prise de ces pilules dans des États conservateurs sont réduits.

«Les lois interdisant l’avortement visent principalement les personnes pratiquant les avortements», et contiennent souvent «une clause spécifiant que la personne enceinte ne peut pas être poursuive», a expliqué à l’AFP Elizabeth Ling, de l’association If/When/How, qui offre des conseils juridiques aux femmes avortant seules.

Malgré tout, des poursuites restent possibles, car certains procureurs détournent parfois d’autres lois (fœticide, maltraitance d’enfants…). Les minorités risquent davantage d’être visées, avertit-elle.

Entretenir le flou sur les risques encourus fait partie d’une «tactique» du camp conservateur, selon Lauren Jacobson. La peur «pousse les gens au silence» et «les soignants ont peur de pratiquer ces soins ouvertement».

Linda Prine, elle, ne se dit «pas très inquiète».

«Je peux vivre sans voyager dans le Mississippi ou l’Alabama», dit-elle en riant. «Donnez-moi la liste, je resterai loin.

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