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Lara Jokhadar : L’opéra pour exprimer l’espoir qu’insuffle Liban-Canada Fondation

Gisèle Kayata Eid

Elles s’activent, se saluent, reçoivent les amis, vérifient les coulisses, mettent au point un dernier détail… Dans l’auditorium de l’école de musique Vincent d’Indy à Montréal, les fauteuils se remplissent, souvent dans la joie des retrouvailles… C’est la même chaleur, le même accueil qu’on retrouve à SeSobel, à l’IRAP, à St Vincent de Paul, à l’AFEL, ces organisations au profit de qui LCF, Liban-Canada Fondation organise toutes sortes de levées de fond pour les enfants libanais a besoin spéciaux, délaissés, que la situation au pays oublie trop souvent.

Des exigences, il y en a de toutes sortes et c’est pour cela que quelques dames se mobilisent, donnent de leur temps, de leur énergie avec une assiduité et une ardeur communicative. Elles contactent les commanditaires, multiplient les relations, redoublent d’efforts, inlassables. Il faut assurer, à partir de Montréal, le maximum de montants qui arriveront comme un baume dans les caisses de ces ONG que les locaux au Liban peinent à aider malgré la demande criante.

La tâche de cette poignée de dames libano-canadiennes n’est pas facile. Il faut solliciter, sensibiliser leurs connaissances pour des causes finalement lointaines qui ne concernent plus leur quotidien… Et elles y arrivent en multipliant les offres de spectacles, de films, d’événements de toutes sortes et d’une foire de Noël qu’elles n’hésitent pas à alimenter au besoin par les retours de vacances de leurs compatriotes et de leurs valises remplies d’objets artisanaux que proposent ces associations de bienfaisance qu’elles aident (prochain rendez-vous de la foire, samedi 2 novembre 2024, à l’Hôtel de Ville Mont-Royal).

Ce soir, la salle de concert se remplit sous l’œil de tous les bénévoles qui ont offert leurs talents (photographes, musiciens, université, organisateurs, fleuristes, etc.) pour faire de cet événement un moment spécial inoubliable. Les officiels, les donateurs, les inconditionnels sont là, mais aussi de nouveaux venus intéressés par celle qui s’est jointe à la belle manifestation de solidarité en offrant sa voix et son art à une audience qui, très vite, a été ravie par la sensibilité, l’amabilité et le talent de la soprano Lara Jokhadar.

Chaleureuse, heureuse d’être sur scène, la libano-canadienne, qui a accompli sa scolarité à Montréal avant de retourner faire carrière au Liban, chantait avec bonheur pour la première fois au Canada et avec encore avec plus de joie pour une belle cause qu’elle a alimentée de sa présence aimable et généreuse mais surtout par sa voix qui, dès les premières notes, a occupé tout l’espace, murs, oreilles et cœurs compris.

La chanteuse d’opéra qui a parfait son art en Europe et qui s’est reproduit dans de grandes salles de concerts, notamment italiennes, sourire aux lèvres et robe brillante, a offert un medley de chansons populaires et classiques. Comme pour préparer son public aux morceaux plus lyriques qu’elle a interprétés en fin de concert, la soprano a commencé par chanter l’amour, dans « Carmen » de Bizet puis à travers les paroles de la chanson « Billy » de Céline Dion : « Pourvu que tu m’aimes, si les gens s’aiment comme nous nous aimons, les magiciens reviendront ». Frisson sensible de l’audience réunis autour de ce concert intitulé justement « Hymne à l’espoir » !  Avec l’heureuse initiative d’alterner des airs connus (Parla più Piano, O Sole Moi) avec d’autres plus « savants », elle a judicieusement préparé son audience (dont certains novices), à mieux apprécier ses partitions classiques de bel Canto, avant de terminer avec deux chansons de Feyrouz qu’elle a magnifiées de son coffre exceptionnel.

Mais qui est cette jeune femme qui a donné ce concert intimiste, intense en vibrations positives épousant à merveille l’esprit de cette rencontre musicale de haut niveau intitulée à bon escient : « Hymne à l’espoir » ? Discussion à bâtons rompus avec Lara Jokhadar qui a sorti son premier album, « Fajr », en juin 2023, en France (bouquet de chansons de styles variés).

C’est au Liban que vous avez pris votre envol musical après une licence en chimie oubliée pour les délices et promesses du Conservatoire de musique qui répondait à vos aspirations. De cette expérience libanaise que retiendrez-vous ?

Au Liban, j’ai eu la chance d’être en contact avec les compositeurs de musique savante en langue arabe, et c’était très précieux. Ils avaient besoin de chanteurs d’opéra pour interpréter leurs morceaux et faire connaître leurs œuvres un peu partout. J’ai pris alors conscience de mes influences levantines. Notre patrimoine libanais n’est pas seulement du tarab, mais il est spécifique à notre pays et assez proche de la musique occidentale, notamment avec Feyrouz, les Frères Rahbani, etc.

Qu’attendez-vous de votre retour au Canada ?

Je m’estime être très chanceuse d’y être. L’opéra fait partie de l’art canadien. Ses maisons d’opéra, celles de Montréal, de Québec, de Vancouver sont parmi les plus importantes au monde. Je suis portée par cet amour palpable et concret pour ce genre de musique. Je pense aussi que le public libano-canadien, notamment celui des anciennes générations, a appris à goûter à cet art (qui a commencé par être populaire avant d’être élitiste). Je crois qu’il sera un très grand support pour moi.

Pourquoi parlez-vous de musique savante ?

Quand on compose un morceau pour l’opéra, on doit pouvoir composer une musique qui puisse s’adapter à la voix humaine dans toutes ses formes et palettes. Cette adaptation va loin dans la théorie musicale qui est très différente de la chanson populaire, la pop. Ça demande des gens qui ont du talent, des gens de carrière qui ont mis corps et âme dans leur art.

Qu’est-ce qui vous ressentez quand votre voix s’amplifie et pousse encore plus loin et plus haut, quand vous chantez de « overnotes » ?

Il y a le côté purement physique. En chantant, nous ressentons dans notre larynx, dans notre tête toutes les grandes vibrations. Notre corps tout entier les ressent. Il y a aussi cette communication avec l’audience, en plus de la communication verbale, qui s’effectue à travers cette fréquence à laquelle elle est sensible. Enfin il y a aussi le plan spirituel que j’ai découvert avec l’expérience personnelle. Quand on chante bien, avec une technique solide, la fréquence des vibrations que l’on produit dans notre corps à travers le chant classique a des effets thérapeutiques. Les gens qui font de la méditation utilisent d’ailleurs beaucoup la voix pour synchroniser avec certaines vibrations. En tant que chanteur d’opéra essentiellement concentré sur cette fréquence, cela nous fait du bien.

Vous devez vous astreindre à une discipline quotidienne draconienne…

Il y a un rituel journalier commun à tous les chanteurs d’opéra. Ce sont leurs règles d’or : très bien dormir (8h minimum pour moi), faire attention à ce qu’on mange pour éviter les reflux la nuit, qu’on ressent le matin dans la gorge, faire ses vocalises durant la journée, au besoin avant d’avoir à parler… L’hygiène vocale est primordiale, surtout ne pas crier !  À cela s’ajoute les rituels personnels de chaque chanteur.

Vous êtes aussi compositrice

J’ai été co-compositrice, aux côtés d’Elie Chahoud, de l’oratorio en arabe « From Supper to Resurrection » créé à Beyrouth avec l’Orchestre Philharmonique du Liban. J’ai chanté, le 8 avril 2022, le rôle de Marie-Madeleine, sous la direction de Garo Avessian. Elie Chahoud n’est pas seulement mon pianiste depuis 15 ans, c’est aussi celui qui réalise les arrangements des chants pour les instruments qui m’accompagnent. Avant de venir à Montréal pour le concert « Hymne de l’espoir », il a adapté à Beyrouth, durant trois mois, le répertoire que j’ai choisi aux deux violons de Noémie Chadid (étudiante en musique) et de Vicky Kassab, au violoncelle de Marie Chadid et à la flûte traversière de Luigi Eid. Quatre jeunes universitaires que j’ai connus à la paroisse Saint Maron.

Vous êtes aussi professeur de chant et coach vocal dans votre propre école de musique

J’ai créé la Fabbrika Lebanon et au Canada j’ai créé sa petite sœur Fabbrika-Ca. Sauf que je ne vais plus m’y consacrer autant que je l’ai fait au Liban. J’enseignais six jours par semaine au détriment de mes performances et me suis retrouvée prof de chant à temps plein, ce qui m’avait obligé quasiment à quitter la scène. C’était durant la Covid, mais n’empêche que je ne réitèrerai plus l’expérience aussi intensément. Je laisserai ça pour ma retraite. Je ne prends d’ailleurs que les élèves intéressés par le chant classique.

Comment réagissez-vous devant un élève qui chante faux ?
C’est très délicat. Quand un prof de ballet, piano, violon fait une remarque, elle concerne les mouvements, les doigts, les instruments. La remarque sur la voix, elle, est très personnelle. C’est très difficile de critiquer la voix qui, en spiritualité, représente l’âme. Ça fait très mal. Cela ne se dit jamais. Notre voix c’est notre identité. Souvent je leur donne une chance, car il est probable que si on chante faux c’est parfois par manque d’habitude. Des étudiants qui n’avaient pas d’oreille s’avèrent n’avoir jamais chanté. Quand on leur donne de bons outils, ils sont capables alors de réussir… Dans les cas désespérés je leur suggère de choisir autre chose ou que leur type de voix n’est pas adapté à ce genre de chant.

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